Hausse des taux
Utilisation d’antipsychotiques dans les établissements de SLD au Canada
On considère généralement comme inappropriée la prescription d’antipsychotiques à des personnes sans diagnostic de psychose dans le cadre d’une approche de soins aux personnes âgées dans les établissements de soins de longue durée (SLD). Pourtant, ces médicaments puissants sont devenus monnaie courante dans les établissements de SLD du Canada; ils sont souvent utilisés comme traitement de première intention pour la prise en charge des comportements associés à la démence, tels que l’agressivité et la résistance aux soins, et ce, malgré des lignes directrices canadiennes qui mettent en garde contre leur utilisation fréquente pour traiter ces symptômes.
La prise de médicaments antipsychotiques comporte des risques importants, notamment une probabilité accrue d’accidents vasculaires cérébraux, de chutes, de fractures et même de décès. Le fait de les prescrire sans traiter d’abord les causes profondes de ces comportements ni explorer des traitements non pharmacologiques soulève de sérieuses questions quant à la sécurité et à la qualité des soins prodigués à l’une des populations les plus vulnérables du Canada.
Depuis plus de 10 ans, l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) publie des rapports sur les taux d’utilisation potentiellement inappropriée d’antipsychotiques dans les établissements de soins de longue durée au Canada. Les données les plus récentes, pour l’exercice 2023-2024, sont présentées ici pour la première fois, accompagnées d’une analyse approfondie des tendances et des variations au pays. Les données ont été ajustées en fonction des risques afin qu’elles soient comparables d’un établissement de SLD à l’autre. Les données ont été ajustées en fonction du risque afin qu’elles soient comparables entre les établissements de SLD.
Les données et l’analyse ci-dessous ont été préparées par les membres du sous-groupe « SLD » de la Coalition pour l’utilisation appropriée, à partir des données de l’ICIS.
Une décennie de lutte contre les antipsychotiques
L’évolution de l’utilisation d’antipsychotiques dans les établissements de SLD au Canada au cours de la dernière décennie a connu deux phases distinctes : prépandémique et postpandémique. Au cours des années précédant la pandémie de COVID‑19, des progrès constants ont été réalisés pour réduire leur utilisation. Le pourcentage de personnes résidant en établissement de SLD sous antipsychotiques sans diagnostic de psychose est passé de 27,2 % à 20,2 % entre 2014-2015 et 2019-2020, grâce aux efforts considérables déployés pour traiter par d’autres moyens les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence. Cependant, depuis le début de la pandémie de COVID-19, l’utilisation d’antipsychotiques a augmenté, atteignant 24,5 % au cours de l’année la plus récente, ce qui a annulé une grande partie des progrès réalisés au cours de la dernière décennie.
À titre indicatif, le taux national aux États-Unis est de 10 %. En Australie et en Suède, il est respectivement de 18 % et de 15 %.
Les raisons de cette augmentation ne sont pas tout à fait claires, mais la pandémie a vraisemblablement exacerbé les conditions menant à leur utilisation. Par exemple, les pénuries de personnel et les pressions exercées sur les programmes de contrôle des infections au plus fort de la pandémie auraient pu amener les établissements de SLD à se tourner vers les antipsychotiques pour gérer les personnes qui y résident. Une étude canadienne a même suggéré que les antipsychotiques pourraient avoir été prescrits à titre préventif, puisque la prévalence des symptômes comportementaux n’a pas réellement augmenté durant la période pandémique.
Peu importe les raisons, la persistance de l’utilisation accrue d’antipsychotiques bien après le pic de la pandémie de COVID-19 semble indiquer qu’une nouvelle normalité serait maintenant en place, que le quart des personnes résidant en établissement de SLD pourraient utiliser ces médicaments de manière inappropriée.
Variations des taux d’utilisation au Canada
L’utilisation d’antipsychotiques dans les établissements de SLD varie considérablement d’une province et d’un territoire à l’autre. Alors que le taux global pour le Canada était de 24,5 % en 2023-2024, la plupart des provinces et territoires, à l’exception de l’Alberta et de l’Ontario, se situaient bien au-dessus du taux national.
Indépendamment de leur situation en 2023-2024, chaque province et territoire a vu son taux d’utilisation augmenter d’au moins 2 % depuis le début de la pandémie. La hausse la plus marquée a été enregistrée à Terre-Neuve-et-Labrador, où la proportion de personnes résidant en établissement de SLD prenant des antipsychotiques est passée de 23,1 % à 31,8 %, soit une augmentation absolue de 8,7 %. Même en Ontario et en Alberta, où les taux sont les plus bas du pays, l’utilisation a augmenté respectivement de 2,2 % et de 4,4 % depuis le début de la pandémie.
Variations des taux d’utilisation entre établissements de SLD
Ce sont dans les établissements de SLD que les variations sont les plus marquantes. Parmi les 1 500 établissements qui ont fourni des données sur l’utilisation d’antipsychotiques en 2023-2024, le taux d’utilisation allait de 0 % à 86,3 %, la médiane se situant à 23,6 %.
Le taux au 10e centile était de 10,5 %. En d’autres termes, 150 établissements avaient des taux d’utilisation d’antipsychotiques égaux ou inférieurs à 10,5 %. Inversement, le taux au 90e centile était de 40,8 %, ce qui signifie que 150 foyers présentaient des taux d’utilisation égaux ou supérieurs à 40,8 %.
À l’échelle provinciale et territoriale, les variations des taux d’utilisation sont les plus importantes au Nouveau-Brunswick et les plus faibles en Ontario. Tout cela est relatif, bien sûr, puisque même en Ontario, les taux varient considérablement, de 0 % à 56,9 % parmi plus de 600 établissements de SLD situés dans la province.
Le taux d’utilisation potentiellement inappropriée d’antipsychotiques en 2023-2024 pour l’ensemble des 1 500 établissements de SLD au Canada est présenté dans le tableau consultable ci‑dessous.
Recours aux moyens de contention physique
Les moyens de contention physique sont parfois utilisés pour maîtriser les symptômes comportementaux des personnes résidant en établissement de SLD. Il est donc à craindre que l’accent mis sur la réduction de l’utilisation d’antipsychotiques ne conduise à une augmentation correspondante de l’utilisation de moyens de contention comme substitut. Toutefois, cette mesure ne constitue pas une solution de rechange acceptable, car son utilisation peut entraîner une détresse physique et psychologique importante chez la personne concernée.
Avant la pandémie de COVID-19, le recours aux moyens de contention était en baisse constante au Canada, reflétant la tendance à la réduction de l’utilisation d’antipsychotiques : un bon signe que les établissements de SLD sont capables de trouver des mesures appropriées de prise en charge des comportements des personnes qui y résident. Au plus fort de la pandémie, le recours à la contention a connu un pic, mais il a depuis diminué pour atteindre 4,9 %, contrairement aux antipsychotiques.
Les provinces et territoires présentant les taux les plus faibles d’utilisation d’antipsychotiques, à savoir l’Alberta et l’Ontario, ont également des taux plus faibles d’utilisation de moyens de contention. Inversement, les provinces et territoires ayant des taux plus élevés d’utilisation d’antipsychotiques ont également des taux plus élevés d’utilisation de moyens de contention.
Retour sur la bonne voie
Les tendances d’utilisation d’antipsychotiques prennent une mauvaise tournure au Canada.
La bonne nouvelle, c’est que nous savons comment réduire l’utilisation inappropriée. Bon nombre de provinces et territoires ont réussi à le faire par le passé. Avant le début de la pandémie, à tout le moins, les établissements de SLD progressaient grâce à une combinaison d’efforts d’amélioration de la qualité à grande échelle et localement. Toutefois, le secteur des SLD est aujourd’hui confronté à des pénuries importantes de personnel et à un taux élevé de roulement des effectifs, des problèmes systémiques qui rendent l’amélioration de la qualité plus difficile que par le passé.
Pour que le Canada puisse revenir sur la bonne voie, on doit se doter d’une stratégie coordonnée, qui mobilisera à la fois les établissements de SLD et les parties prenantes du système de santé qui façonnent les conditions du secteur. Il est également nécessaire de définir plus clairement l’objectif que le Canada devrait viser et ce à quoi les personnes résidant en établissement de SLD et leur famille peuvent s’attendre de manière uniforme, quel que soit l’établissement dans lequel ils se présentent. La récente formation de la Coalition pour l’utilisation appropriée et ses travaux visant à fixer un objectif national pour l’utilisation de ces médicaments dans les SLD constituent un bon point de départ. (édité)
Coalition pour l’utilisation appropriée
La Coalition pour l’utilisation appropriée est composée de 11 organisations qui collaborent pour améliorer la prescription et l’utilisation appropriées des médicaments au Canada.
Le sous-groupe « soins de longue durée » de la coalition, responsable de ce rapport, travaille sur la question précise de l’utilisation appropriée d’antipsychotiques dans les établissements de SLD.
Membres du sous-groupe « soins de longue durée » de la Coalition pour l’utilisation appropriée :
- Institut canadien d’information sur la santé
- Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription
- Choisir avec soin
- deprescribing.org/fr
- Excellence en santé Canada
- Institut pour la sécurité des médicaments aux patients du Canada
- RxFiles
* Le secrétariat est assuré par l’Agence des médicaments du Canada.
Objectif national
Un groupe d’expertise a été formé par l’Agence des médicaments du Canada, en collaboration avec Choisir avec soin, afin de fournir une orientation sur l’utilisation appropriée d’antipsychotiques dans les établissements de SLD. Selon une méthode Delphi modifiée, les membres spécialistes analyseront des données probantes provenant de sources variées et délibéreront afin de produire des énoncés consensuels pour atteindre un taux cible national axé sur les établissements de soins de longue durée au Canada. L’objectif national devrait être annoncé au milieu de l’année 2025.
Pour en savoir plus sur les travaux du groupe d’expertise ou soumettre des commentaires : L’utilisation appropriée d’antipsychotiques en soins de longue durée | CDA-AMC.